Par Laurent Bentley

Il faut tenir compte des différences liées au sexe et au genre pour améliorer les résultats du traitement de la démence. Deux récipiendaires de bourses postdoctorales nous le démontrent.    

Au début de l’année 2024, deux stagiaires exceptionnels dans le domaine de la recherche sur la santé cérébrale, Natasha Clarke Ph. D. et Rikki Lissaman Ph. D., ont chacun reçu une bourse postdoctorale de 60 000 $ par année pour deux ans dans le cadre de la phase 2 du programme transversal sur les femmes, le sexe, le genre et la démence (FSGD) du Consortium canadien en neurodégénérescence associé au vieillissement (CCNV). Ce programme est désormais connu sous le nom de Réseau de recherche sur le sexe et le genre. Ils comptent parmi les quatre stagiaires récipiendaires du prix, financé en partie par la Fondation Brain Canada, fière partenaire du CCNV, dans un effort commun pour faire progresser la compréhension et le traitement de la démence. 

Malgré les progrès réalisés, la recherche sur le vieillissement et la neurodégénérescence ne tient pas toujours compte des différences liées au sexe et au genre. Le sexe désigne un ensemble de caractéristiques physiques et physiologiques chez les humains et dans les modèles animaux, tandis que le genre fait référence aux rôles définis par la société, aux comportements, aux manifestations externes et à l’identité des individus. Le programme FSGD vise à combler une lacune importante en recherche sur le sexe, le genre et la démence en permettant aux chercheuses et chercheurs d’intensifier leurs efforts dans ce domaine pour obtenir des résultats de recherche plus équitables, transférables à la pratique.  

En soutenant financièrement des stagiaires postdoctoraux prometteurs, cette bourse contribue à bâtir une capacité de recherche du niveau cellulaire et moléculaire jusqu’à la santé de la population, et augmente la contribution du Canada à la compréhension du rôle du sexe et du genre dans la santé cérébrale et le vieillissement. L’enrichissement des connaissances sur le vieillissement et le cerveau créé des conditions propices à de meilleurs résultats et à des traitements plus personnalisés pour la population canadienne dans les années à venir. 

Natasha Clarke Ph. D., attachée de recherche au niveau postdoctoral à l’Université de Montréal 

« La manière dont parle une personne est riche en information. Elle en dit beaucoup sur son état cérébral et cognitif », explique Mme Clarke.  

Sous la supervision de la Pre Simona Maria Brambati, Natasha Clarke étudie la relation entre la parole et le vieillissement, un domaine pour lequel sa curiosité s’est développée au cours de ses années comme clinicienne auprès de personnes souffrant de pertes de mémoire.  

Natasha Clarke Ph.D.

Ses travaux portent sur les changements dans le discours spontané, ces conversations naturelles et fluides du quotidien, qui peuvent révéler des signes très précoces de démence, souvent des années avant l’apparition d’autres symptômes plus connus, tels que les troubles de la mémoire. Elle espère découvrir, dans le discours des gens, des biomarqueurs susceptibles de révéler la présence de la maladie beaucoup plus tôt, ce qui permettrait un suivi beaucoup moins invasif qu’avec les tests traditionnels de la progression de la maladie.  

La bourse postdoctorale du programme FSGD du CCNV, en partenariat avec la Fondation Brain Canada, a permis à Natasha Clarke de se concentrer sur les différences liées au sexe et au genre dans ses recherches. On sait déjà par exemple que les femmes réussissent souvent mieux les tests de mémoire verbale, ce qui peut retarder le diagnostic. Mme Clarke étudie le discours spontané pour voir s’il présente des différences du même ordre. Ses premiers travaux suggèrent qu’il existe effectivement des différences significatives entre le discours spontané des hommes et celui des femmes. La compréhension de ces différences pourrait grandement améliorer les outils de diagnostic et l’élaboration d’interventions plus personnalisées.  

« Il est extrêmement important de se concentrer sur le sexe et le genre, » note-t-elle.  

« C’est formidable de constater qu’on y accorde désormais de plus en plus d’attention, particulièrement parce que les femmes et les hommes vivent des changements très différents tout au long de leur vie. » 

Natasha Clarke a aussi recours à l’IRMf pour établir un lien entre les changements dans la manière de parler d’une personne et les modifications de ses fonctions cérébrales, ce qui pourrait contribuer à des traitements plus précoces. Grâce à l’étude COMPASS-ND, Mme Clarke et l’équipe de la Pre Brambati ont accès à un immense ensemble de données fourni par le CCNV – qui comprend les échantillons longitudinaux de milliers de Canadiennes et de Canadiens – et peuvent donc étudier leur sujet plus étroitement que jamais. 

La Pre Maria Brambati a été ravie d’apprendre que la stagiaire qu’elle supervise avait reçu la bourse. « Natasha est une chercheuse postdoctorale exceptionnelle, elle est totalement engagée envers l’équité en recherche scientifique, a-t-elle déclaré. Son programme de recherche poursuit une mission à long terme : bâtir une société plus inclusive, notamment grâce à des solutions technologiques, des innovations en matière de santé et un accès équitable aux soins. Ce sont des valeurs que partagent étroitement tous les membres de l’équipe du laboratoire. Je suis reconnaissante au programme FSGD du CCNV d’encourager et de soutenir cet important travail. » 

« J’étais aux anges de recevoir ce financement, déclare Natasha Clarke. J’étais ravie d’apprendre que j’avais deux ans pour poursuivre mes travaux. » Elle souligne combien il était valorisant pour elle que le CCNV reconnaisse l’importance et le potentiel de ses sujets de recherche pour les Canadiennes et les Canadiens confrontés à la neurodégénérescence. 

Rikki Lissaman Ph. D., boursier de recherche postdoctorale à l’Université métropolitaine de Toronto 

Rikki Lissaman s’intéresse au gène APOE depuis ses études de premier cycle. Tout le monde possède ce gène, mais les personnes qui ont deux copies du variant APOE4 ont significativement plus de risques d’être atteintes un jour de la maladie d’Alzheimer. Ce type de corrélation entre le variant d’un gène normal et un risque accru de maladie est assez rare, ce qui fait de ce gène une piste de recherche importante dans l’étude de la maladie d’Alzheimer.  

Dans ses travaux actuels, Rikki Lissaman cherche à savoir s’il est possible de percevoir l’effet du variant APOE4 sur les gens, en particulier chez les femmes, dès le milieu de la vie, avant l’apparition des symptômes plus typiques de la maladie d’Alzheimer. 

M. Lissaman utilise l’imagerie de diffusion et l’IRMf, pour étudier la réaction du cerveau des femmes et des hommes dans divers exercices de mémoire. En étudiant un groupe de personnes de sexes et de génotypes différents, ses travaux contribuent à établir les distinctions entre le vieillissement normal et le vieillissement pathologique et à comprendre pourquoi certaines personnes maintiennent une meilleure santé cérébrale que d’autres en vieillissant.  

Dr. Rikki Lissaman

Grâce à sa bourse, le chercheur pourra également approfondir le rôle que joue le sexe dans le vieillissement. Il s’intéresse particulièrement à la façon dont la ménopause et les autres changements hormonaux affectent le vieillissement du cerveau au fil du temps, en particulier au milieu de la vie, lorsque les modèles de vieillissement cognitif des hommes et des femmes commencent à diverger. 

À long terme, Rikki Lissaman prévoit que ses efforts conduiront à des stratégies d’intervention précoces et personnalisées pour aider les gens à préserver leur santé cognitive et cérébrale. 

« La bourse a été une excellente occasion d’approfondir mon sujet d’intérêt, soit le vieillissement et les risques liés à la maladie d’Alzheimer, mais aussi d’intégrer à mes recherches la dimension cruciale du sexe et du genre, explique-t-il. Ces travaux nous permettront de mieux comprendre le rôle du facteur de risque génétique du variant APOE4, et ils ouvrent la voie à des interventions mieux adaptées aux individus. » 

Le boursier souligne que les différences liées au sexe et au genre dans le vieillissement sont encore peu étudiées. Sa superviseure à l’Université métropolitaine de Toronto, la Pre Natasha Rajah, chercheuse principale au laboratoire BHEAM, abonde en ce sens.  

« La bourse postdoctorale du programme FSGD du CCNV est essentielle pour soutenir les talents de la recherche, comme Rikki Lissaman, dans l’étude des questions liées au sexe et au genre, des aspects souvent négligés, dit-elle. Les résultats préliminaires de Rikki sont passionnants et nous aident à mieux comprendre pourquoi les femmes sont potentiellement plus à risque que les hommes d’être atteintes de la maladie d’Alzheimer. » 

« Il y a encore du travail à faire, » déclare Rikki Lissaman.

« Pour les stagiaires, des tremplins comme celui-ci sont très importants. Plus les organismes de financement agiront en leaders, comme l’ont fait le CCNV et la Fondation Brain Canada, plus les résultats seront positifs. » 

Un an après l’obtention de sa bourse, Rikki Lissaman a accepté de nouvelles fonctions au Royal Holloway, Université de Londres, où il continue d’explorer les mêmes sujets de recherche.