On perçoit souvent l’autisme comme un spectre linéaire. Or, pour les personnes concernées, cette vision simplifiée ne rend pas justice à la diversité des expériences vécues. L’autisme correspond plutôt à une réalité multidimensionnelle caractérisée par des déficits dans le langage, la motricité, les fonctions exécutives et la perception sensorielle. Un trouble complexe qui touche aujourd’hui près d’un million de personnes au Canada.  

Les chercheurs se disent profondément interpellés par l’hétérogénéité de l’autisme, qui se manifeste dans la petite enfance par un vaste éventail de symptômes et divers degrés de capacités. Au cœur de cette complexité, une certitude émerge : le diagnostic rapide de ce trouble et l’intervention précoce peuvent favoriser un meilleur pronostic clinique à long terme grâce à la neuroplasticité du cerveau des jeunes enfants. 

Si des signes précoces comme la diminution du contact visuel ou la répétition de certains comportements peuvent être observés dès l’âge de deux ans, le diagnostic, lui, n’est en général posé qu’entre quatre et cinq ans, selon l’Agence de la santé publique du Canada.

La recherche 

 Les parents sont remarquablement attentifs et à l’écoute de leur enfant. Ils perçoivent souvent des différences sensorielles ou motrices, des signes précoces qui peuvent être associés à l’autisme, et ce, bien avant l’âge d’un an. Non seulement les parents sont souvent capables de détecter ces signes avant-coureurs, mais ils peuvent aussi jouer un rôle central dans les stratégies d’intervention. 

Dr Lonnie Zwaigenbaum, titulaire de la chaire sur l’autisme de la Stollery Children’s Hospital Foundation, directeur adjoint de l’Institut de recherche sur la santé des femmes et des enfants (WCHRI) et figure de proue de la recherche sur l’autisme au Canada

Avec son équipe, le Dr Zwaigenbaum s’est donné pour mission d’améliorer le développement et le bien-être des enfants autistes en explorant de nouvelles stratégies de détection et d’intervention dès l’âge de six mois. Selon Santé Canada, un enfant sur 50 reçoit un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme (TSA), un terme générique qui englobe une gamme de troubles du développement connexes, dont le syndrome d’Asperger. Mais parce que le TSA court dans les familles, ce chiffre grimpe à 1 sur 5 chez les enfants ayant un frère ou une sœur aîné.e déjà diagnostiqué.e. 

« L’étude d’un groupe à haut risque offre une occasion unique d’observer les tout premiers signes, au moment même où ils commencent à émerger », remarque le Dr Zwaigenbaum, également professeur à la Faculté de médecine et de médecine dentaire de l’Université de l’Alberta.  

L’équipe a pu mettre au point deux études complémentaires grâce à une subvention du Programme de recherche neurodéveloppementale de la Fondation Azrieli et de la Fondation Brain Canada, avec le soutien des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et du Réseau pour la santé du cerveau des enfants. 

Ce qui a été trouvé: Détection 

La première portait sur la tendance des jeunes enfants autistes à s’attacher de façon inhabituellement intense à des objets. 

« Nous savons que les enfants autistes ont du mal à focaliser leur attention sur des choses qui ne les intéressent pas, mais qu’ils peuvent se montrer extrêmement absorbés par ce qui les captive », explique le Dr Zwaigenbaum. Ils ont aussi tendance à réagir de façon extrême à certaines situations du quotidien qui suscitent des émotions, comme le retrait d’un jouet. « Nous avons donc étudié à la fois leurs comportements observables et leurs réactions physiologiques — notamment la fréquence et la variabilité cardiaque — pour voir si ces réponses pouvaient servir d’indicateurs précoces. »  

Les résultats ont montré que les tout-petits atteints d’autisme présentaient des réactions plus marquées à la frustration. Ces signes pourraient permettre un dépistage plus précoce, en particulier dans les familles où un autre enfant a déjà reçu un diagnostic. Toutefois, la corrélation entre les réponses comportementales et physiologiques s’est avérée faible, ce qui suggère une grande variabilité des réactions, parfois imperceptibles, d’un enfant à l’autre.  

« La grande diversité des TSA souligne l’importance d’approches de suivi souples sur une période prolongée, y compris l’écoute attentive des préoccupations de la famille — une démarche déjà bien ancrée dans le modèle canadien de dépistage de l’autisme », ajoute-t-il. 

Ce qui a été trouvé: Intervention 

Dans la seconde étude, l’équipe a voulu renforcer les effets d’un programme d’intervention précoce appelé l’ABC social, conçu pour aider les parents à encourager la communication et le partage des émotions chez leur enfant. Élaboré par les Dres Jessica Brian et Susan Bryson, coresponsables de l’étude, ce programme s’adresse aux tout-petits présentant des signes précoces de TSA. L’équipe s’est demandé si les résultats du programme pouvaient être bonifiés en aidant les enfants à devenir plus flexibles dans l’attention qu’ils portent aux objets. 

« Nous avions l’intuition que cette concentration excessive pouvait nuire à leur participation au programme ABC social, car les enfants ne réagissent pas toujours aux sollicitations parentales de la même façon », explique le Dr Zwaigenbaum. 

Pour stimuler leur attention et leur flexibilité, les chercheurs ont eu recours à des jeux informatiques interactifs dans lesquels des personnages réagissent aux mouvements oculaires des enfants. Bien que ces outils aient permis d’améliorer certaines compétences, ils n’ont pas eu d’impact suffisant pour justifier leur intégration au programme de façon systématique. 

Ce qui est intéressant, c’est que des programmes d’intervention comme l’ABC social, qui aident les parents à élaborer des stratégies pour aider leurs enfants à communiquer et à interagir socialement, peuvent réellement démontrer des bénéfices tangibles. 

Ces résultats confirment non seulement l’efficacité de ce type d’intervention, mais aussi le rôle clé des parents dans le développement des compétences sociales et langagières de leur enfant, bien avant qu’un diagnostic officiel ne soit posé.

Dr Lonnie Zwaigenbaum

L’impact 

« Nous espérons toujours que la recherche clinique contribue à améliorer la vie des personnes touchées par des troubles comme le TSA », souligne la Dre Viviane Poupon, présidente-directrice générale de la Fondation Brain Canada. « Ces études nous rapprochent de cet objectif, en affinant notre compréhension du TSA et en orientant l’investissement des ressources là où elles auront le plus d’impact. » 

Depuis, le programme ABC social s’est implanté dans plusieurs régions du Canada sous la direction de la Dre Brian, et il est actuellement à l’essai en Inde et en Israël. 

Parallèlement, le Dr Zwaigenbaum et Dre Brian et leurs collègues ont publié trois lignes directrices nationales sur le dépistage, l’évaluation et la prise en charge précoces du TSA dans le cadre du groupe de travail des directives sur le TSA de la Société canadienne de pédiatrie. 

En 2016, le Dr Lonnie Zwaigenbaum et son équipe ont reçu une subvention d’équipe de 2,09 millions de dollars du Programme Azrieli de recherche sur le développement neurologique pour soutenir leur projet : Nouvelles méthodes de détection et de traitement précoces des TSA. Cette subvention a été rendue possible grâce au soutien financier de Santé Canada, par l’entremise du Fonds canadien de recherche sur le cerveau, un partenariat public-privé entre le gouvernement du Canada, la Fondation Brain Canada et la Fondation Azrieli. 

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