Alison Palmer, responsable de l’évaluation et des projets spéciaux

Une percée en recherche fondamentale, rendue possible par une subvention IRMC dela Fondation Brain Canada en 2012, commence aujourd’hui à apporter un soulagement aux patients souffrant de troubles alimentaires — une pathologie qui affiche le taux de mortalité le plus élevé parmi les maladies psychiatriques après les troubles liés à la toxicomanie.

Nous ne comprenons pas encore pleinement les troubles psychiatriques. Pourquoi une personne est-elle schizophrène, autiste, dépressive? Que se passe-t-il? À quel endroit? Quels sont les mécanismes en jeu? Nous en savons peu sur la neurobiologie de ces troubles graves. Mais aujourd’hui, il y a une exception. Grâce à notre découverte, nous avons enfin une explication rationnelle et scientifique des troubles compulsifs. »

Dr Salah El Mestikawy

La découverte fondamentale

Le Dr Salah El Mestikawy, du Centre de recherche Douglas, a obtenu une subvention d’équipe de la Fondation Brain Canada en 2012 pour ses travaux portant sur le rôle du striatum, une région clé du cerveau, dans la régulation des comportements compulsifs. Ces comportements se retrouvent au cœur de nombreux troubles, notamment le trouble obsessionnel-compulsif (TOC), les dépendances (troubles liés à la toxicomanie), les troubles alimentaires, ainsi que des troubles moteurs comme la maladie de Parkinson.

La recherche menée par le Dr El Mestikawy, en collaboration avec les Drs Marco Prado et Vania Prado de l’Université Western Ontario, a abouti à une découverte qui pourrait influencer les essais cliniques en cours sur un traitement fondé sur la connaissance des troubles alimentaires.

Dr. El Mestikawy et son équipe au Centre de recherche de l’Hôpital Douglas.

Ces chercheurs ont mis en lumière ce que le Dr El Mestikawy appelle l’« asymétrie dopaminergique » dans une région clé du cerveau appelée le striatum.

« Lorsqu’il y a diminution du neurotransmetteur acétylcholine, par exemple en raison d’une mutation génétique, cela entraîne un déficit de dopamine, mais uniquement dans certaines zones spécifiques du striatum. Plus précisément dans la région accumbens (qui fait partie du centre de récompense) et le noyau caudé (qui dirige les comportements orientés vers un but). En revanche, ce manque de dopamine n’est pas observé dans le putamen, la région du striatum impliquée dans la formation et la régulation des habitudes et comportements automatiques. Résultat : lorsque le taux de dopamine est élevé dans le putamen, les habitudes deviennent particulièrement résistantes au changement. »

Si les habitudes jouent un rôle essentiel en nous rendant plus efficaces et en exigeant moins de concentration, dans le cas des troubles alimentaires, elles peuvent devenir répétitives et envahissantes, et ce, malgré le fait qu’elles entraînent de graves conséquences.

Les chercheurs ont éventuellement découvert un moyen d’augmenter le taux d’acétylcholine dans le striatum grâce à un médicament utilisé pour traiter certains troubles cognitifs dans la maladie d’Alzheimer : le donépézil, aussi connu sous le nom commercial Aricept®. L’équipe a testé ce traitement sur des souris porteuses d’une mutation génétique identifiée chez une population de patients souffrant de dépendance et de troubles alimentaires. Ces souris mutantes présentaient une pathologie similaire à l’anorexie. Le traitement au donépézil a permis de supprimer ou de désactiver les comportements alimentaires compulsifs, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles perspectives thérapeutiques.

Tester la découverte chez les patients atteints de troubles alimentaires

Au Canada, on estime qu’environ 2,7 millions de personnes souffrent de troubles alimentaires, dont 1,4 million sont des jeunes. Après les troubles liés à l’abus de substances, les troubles alimentaires affichent l’un des taux de mortalité les plus élevés en santé mentale, atteignant entre 10 et 15 %. 

Le Dr El Mestikawy a été directement témoin des conséquences tragiques de ces troubles quand l’une de ses étudiantes est morte par suicide. Cet événement l’a poussé à contacter la Dre Leora Pinhas, une psychiatre torontoise spécialisée dans les troubles alimentaires, pour explorer la possibilité d’appliquer ses résultats prometteurs chez la souris afin de prévenir de tels drames. La Dre Pinhas a accepté de conduire un essai compassionnel avec le donépézil sur des patientes souffrant de troubles alimentaires, qui avaient déjà tenté plusieurs traitements sans succès.

Quel est l’impact?

Les résultats ont été remarquables. En l’espace de quelques semaines, parfois même en quelques jours, la Dre Pinhas observait des améliorations significatives dans l’état de ses patientes.

Au total, une vingtaine de patientes qui ont essayé le donépézil ont vu leur état s’améliorer considérablement ou sont désormais en rémission de leur trouble alimentaire.

si les bénéfices observés lors des essais compassionnels peuvent être réellement attribuables au médicament. Trois essais sont en cours, à l’Université Columbia, à l’Université de Denver et à l’Hôpital Sainte-Anne à Paris. Ces essais nécessitent toutefois du temps, et s’ils s’avèrent concluants, plusieurs années pourraient encore être nécessaires avant qu’un médicament soit approuvé par les autorités gouvernementales.

En parallèle, le Dr El Mestikawy et son équipe travaillent sur un dérivé du donépézil qui ciblerait uniquement le cerveau, afin de minimiser les effets secondaires. En effet, bien que ce médicament soit efficace, il agit sur tout le corps, provoquant des effets secondaires comme des contractions musculaires, une hausse de la tension artérielle, des nausées et des crampes. Jusqu’à présent, les tests effectués sur des souris avec ce dérivé montrent déjà des résultats positifs.

Le Dr El Mestikawy espère que ces recherches sur le donépézil ouvriront également la voie à des traitements pour d’autres troubles compulsifs.

Les troubles compulsifs touchent un très grand nombre de personnes, notamment les dépendances, qui reposent fondamentalement sur des mécanismes compulsifs. La répétition de la consommation de drogue malgré des conséquences graves, comme en témoigne la crise du fentanyl, en est un exemple frappant. J’espère que des essais compassionnels et cliniques avec des cohortes de patients souffrant de dépendance pourront débuter dès 2025. »

Dr Salah El Mestikawy

Liens :

Le travail du Dr El Mestikawy a été présenté dans la série documentaire Découverte de Radio-Canada, où l’une des patientes ayant participé à l’essai compassionnel, Madelyn Eybergen, ainsi que la Dre Leora Pinhas, sont également présentées. Vous pouvez visionner le reportage en français ici et en anglais ici.

« La plupart des enfants, des jeunes et des adultes avec qui je travaille sont des personnes exceptionnelles — elles sont intelligentes, travaillantes, bienveillantes. Pouvoir les aider à reprendre leur vie en main plutôt que de perdre des décennies de temps et de ressources, c’est la raison pour laquelle j’ai choisi la médecine. » — Dre Leora Pinhas

La Presse a également publié un article sur ce travail, disponible ici.

Le Dr Salah El Mestikawy, professeur de psychiatrie à l’Université McGill et chercheur au Centre de recherche de l’Hôpital Douglas, et ses cochercheurs, le Dr Marco Prado et la Dre Vania Prado, affiliés à BrainsCAN et à l’Université Western Ontario, ont reçu une subvention de recherche de 1,4 million de dollars dans le cadre du concours de subventions de l’Initiative de recherche multichercheurs (IRMC) de la Fondation Brain Canada en 2012. Ce projet a été rendu possible grâce au Fonds canadien de recherche sur le cerveau, une entente unique entre le gouvernement du Canada, par l’entremise de Santé Canada, et la Fondation Brain Canada. Le Fonds de recherche du Québec — Santé (FRQS), l’Université McGill et l’Université Western Ontario ont fourni des fonds de contrepartie pour ce projet.