Par Alison Palmer, responsable de l’évaluation et des projets spéciaux 

Imaginez un neurochirurgien capable de manipuler des cellules spécifiques de votre cerveau grâce à la lumière ou le son pour en restaurer les fonctions

Contrairement aux approches traditionnelles, qui utilisent des électrodes pour stimuler de larges zones du cerveau pour soulager les symptômes de maladies comme la maladie de Parkinson, un neurochirurgien pourrait recourir à la thérapie génique pour introduire des protéines sensibles à la lumière directement dans les cellules affectées. En les stimulant précisément par la lumière, la fonction cérébrale pourrait être rétablie et les risques d’effets secondaires indésirables, diminués. Une telle approche pourrait aussi être utilisée pour soulager efficacement certaines douleurs chroniques en fournissant un soulagement ciblé similaire à une épidurale. 

« Ça peut sembler tout droit sorti d’un film de science-fiction, mais notre plateforme vise à en faire une réalité », explique le Dr Yves De Koninck, chercheur principal de la Canadian Optogenetics and Vectorology Foundry, une plateforme soutenue par la Fondation Brain Canada, et professeur à l’Université Laval. « C’est l’aboutissement ultime de la neurostimulation. » 

L’optogénétique est un domaine de recherche de pointe qui allie des techniques de génie génétique à des technologies optiques. Elle permet de produire des protéines sensibles à la lumière et de les intégrer dans des cellules à l’aide de vecteurs viraux (des virus inoffensifs conçus pour acheminer du matériel génétique codant ces protéines). Des capteurs sur mesure permettent ensuite de contrôler et d’observer en temps réel les réactions des cellules. La prochaine étape de cette recherche révolutionnaire consiste à développer des protéines sensibles au son qui fonctionneraient de la même façon. 

L’optogénétique : un avenir prometteur 

Le domaine évolue rapidement et, selon la Dre Marie-Ève Paquet, cochercheuse principale à l’Université Laval, nous verrons certains de ces bienfaits thérapeutiques se concrétiser au cours de la prochaine décennie. 

« Les outils optogénétiques sont déjà utilisés pour traiter certaines maladies oculaires », explique-t-elle. Par ailleurs, des traitements optogénétiques pour soulager la douleur ont démontré leur efficacité dans des études sur des souris. Mais plusieurs défis techniques demeurent, notamment l’augmentation de l’échelle et les tests sur des primates non humains. 

« La capacité de notre plateforme à maintenir des normes élevées et à soutenir la recherche et le développement pour relever ces défis repose sur le financement continu de la Fondation Brain Canada, » poursuit la Dre Paquet. 

À l’avant-garde dans ce domaine, l’équipe financée par la Fondation Brain Canada regroupe 14 chercheurs issus de six universités canadiennes. Leur expertise s’étend de l’ingénierie des protéines à l’imagerie en passant par les modèles animaux, la pratique clinique et la neuroendocrinologie. Maintenant dans sa deuxième phase, la plateforme Canadian Optogenetics and Vectorology Foundry concentre ses efforts sur les bases nécessaires aux applications thérapeutiques. 

« Nous faisons partie des rares équipes à combler l’écart entre la production théorique de vecteurs viraux et leur utilisation en milieu clinique, précise la Dre Paquet. Notre modèle de personnalisation rapide et de distribution des outils permet aux chercheurs du monde entier d’accéder rapidement à ces innovations et de les tester. » 

Dre Marie-Ève Paquet, Chercheur principal de la Canadian Optogenetics and Vectorology Foundry

Quel est l’impact? 

Les vecteurs viraux que la Dre Paquet et son équipe mettent au point sont en forte demande pour développer l’optogénétique ; au cours des trois dernières années, ils ont expédié plus de 1 300 vecteurs à plus de 250 laboratoires de recherche partout Canada et dans le monde. Grâce à un cycle de conception-construction-test-apprentissage au cœur de la plateforme, l’équipe a mené d’importantes activités de recherche et développement pour faire progresser la technologie. Ensemble, ils ont généré plus de 120 publications scientifiques depuis 2021. Et les chercheurs qui ont utilisé les produits et services de la plateforme ont produit plus de 100 autres publications, accélérant ainsi notre compréhension d’un large éventail de sujets de recherche sur le cerveau, notamment la perte de sommeil, la locomotion, les troubles alimentaires et l’exposition à la chaleur. 

 Au Centre for Brain Health de l’UBC, les vecteurs sur mesure développés par la plateforme Foundry transforment nos recherches.  Nous avons reçu plus de 50 vecteurs au cours des huit dernières années, que différentes équipes de recherche ont utilisés pour mieux comprendre les modifications synaptiques et les réseaux neuronaux sous-jacents aux troubles cérébraux comme l’AVC, la maladie de Huntington et la maladie d’Alzheimer. Ces vecteurs sont des outils uniques qui nous permettent de travailler à l’avant-garde des neurosciences, un domaine en constante évolution. 

Dre Shernaz Bamji, codirectrice du Centre for Brain Health de l’UBC et membre du conseil d’administration de la Fondation Brain Canada.

Ce qui rend ces vecteurs viraux particulièrement attrayants pour les groupes de recherche, c’est qu’ils sont produits rapidement à petite échelle et qu’ils sont adaptés aux besoins des chercheurs. Parmi les bénéficiaires, on compte notamment des partenaires industriels axés sur l’innovation dont les activités sont rendues possibles par la plateforme. 

À ce jour, l’équipe a établi un partenariat avec six entreprises, dont IVANO Biosciences, qui utilise ces vecteurs pour évaluer l’efficacité des vaccins. Un autre partenaire, Cerebro Therapeutics, les emploie pour prévenir l’agrégation de l’alpha-synucléine, la protéine qui se replie et s’accumule dans le cerveau des personnes atteintes de la maladie de Parkinson, et arrêter sa progression. 

Du côté matériel de la plateforme, en complément des vecteurs viraux, l’équipe a déposé huit brevets pour divers dispositifs et méthodes de recherche développés et obtenu quatre licences depuis 2014. Ces efforts ont conduit à la création d’une série d’entreprises dérivées comme Bliq Photonique, fondée par deux anciens étudiants diplômés soutenus par la plateforme. 

Bliq Photonique, une entreprise de la ville de Québec qui emploie 18 personnes, met au point des microscopes sur mesure et d’autres appareils qui répondent aux besoins de la plateforme. Ce partenariat offre aux chercheurs un accès à une expertise en ingénierie spécialisée et à du matériel optimisé pour des technologies comme le contrôle optogénétique, la détection en temps réel et l’imagerie haute résolution en neurosciences. 

Dr Yves De Koninck, Chercheur principal de la Canadian Optogenetics and Vectorology Foundry

Plateformes financées par la Fondation Brain Canada : un pilier pour la science ouverte  

Comme le souligne le Dr De Koninck, l’équipe est en train d’établir un équilibre important entre la commercialisation des découvertes et la science ouverte. 

« Nous avons protégé plusieurs de nos découvertes sur le plan matériel, mais nous voulions démocratiser l’accès aux nouveaux outils génétiques que la plateforme est en train de mettre au point, explique-t-il. Nous voulons nous assurer d’accélérer leur transfert et de prévenir les obstacles qui retarderaient leur passage vers des applications cliniques. » 

Par exemple, ils perçoivent des frais pour les vecteurs, mais en tenant compte de l’accessibilité. En donnant aux chercheurs canadiens un avantage concurrentiel, ils offrent des rabais aux chercheurs en début de carrière et aux laboratoires canadiens; des initiatives qui sont rendues possibles grâce au soutien de la plateforme, ainsi qu’au plus de 20 subventions et plus 45 millions de dollars que l’équipe a obtenus pour tirer parti de ce soutien et le développer. 

« La Fondation Brain Canada joue un rôle exemplaire à cet égard. Si nous voulons faire progresser la science ouverte, les plateformes sont le pilier, précise le Dr De Koninck. Le financement de la Fondation Brain Canada a permis à cette plateforme d’atteindre une échelle, une flexibilité et une qualité sans précédent, ce qui contribue à stimuler l’innovation et propulser la recherche de façon transformatrice. C’est un modèle que d’autres pays tentent aujourd’hui d’imiter. » 

« Ce type de financement consacré aux plateformes est très rare dans la communauté scientifique, ajoute la Dre Paquet. Son impact a été remarquable. » 

Liens

Stuart Jantzen, « Recording the Illuminated Neuron » animation

Les chercheurs principaux, les Drs Yves De Koninck et Marie-Ève Paquet, ainsi que les cochercheurs, les Drs Paul De Koninck, Robert Campbell, Keith Murai, Ed Ruthazer, Stuart Trenholm, Reza Sharif-Naeini, Thomas Durcan, Tomoko Ohyama, Edward Fon, Jean-Claude Béique, Stephanie Borgland et Lynn Raymond, ont obtenu une subvention de plateforme de 4,3 millions de dollars de la Fondation Brain Canada en 2019 pour faire progresser la Canadian Optogenetics and Vectorology Foundry. Cette subvention repose sur une première itération de la plateforme, qui avait bénéficié d’un financement similaire dès 2014. La subvention de 2019 a été rendue possible grâce au soutien financier de Santé Canada, par l’entremise du Fonds canadien de recherche sur le cerveau, un partenariat novateur entre le gouvernement du Canada (par l’entremise de Santé Canada), la Fondation Brain Canada ainsi que le Centre de santé cérébrale le Djavad Mowafaghian, le CERVO de l’Université Laval, l’Université McGill, l’Université de Calgary et l’Université d’Ottawa.

En savoir plus: La recherche sur le cerveau profite d’une subvention substantielle de 4 millions pour faire progresser le domaine des neurosciences