Une étude de la Fondation Brain Canada et Bell Cause pour la cause vise à accélérer le diagnostic et le traitement de la maladie, à explorer les causes sous-jacentes et à cibler de nouveaux médicaments pour la traiter

Une équipe de recherche canadienne, basée à Montréal et Halifax, utilise une technologie de cellules souches sophistiquée afin de percer les mystères du trouble bipolaire, mettre au point de nouvelles façons de le dépister, déterminer qui réagira au traitement et commencer à identifier de nouvelles pharmacothérapies.

Financée par la Fondation Brain Canada et Bell Cause pour la cause, cette recherche pourrait avoir une incidence profonde sur la vie de 1,6 million de Canadiens – soit 4 % de la population – qui vivent avec cette maladie débilitante.

« Le trouble bipolaire est plus courant qu’on ne le croit ; il constitue un véritable défi sociétal », explique l’un des chefs du projet, le Dr Austen Milnerwood, neurophysiologiste, boursier Killam et professeur agrégé au Département de neurologie et de neurochirurgie de l’Institut neurologique de Montréal de l’Université McGill (le Neuro).

Caractérisé par de graves sautes d’humeur allant de la dépression profonde à la manie, le trouble bipolaire, ou TB, affecte tous les aspects de la vie. Ce qui est le plus préoccupant, c’est qu’environ 30 % des personnes qui en sont atteintes tentent de se suicider, et qu’environ 15 % de ces tentatives aboutissent.

L’un des grands défis liés au TB est qu’il est souvent mal diagnostiqué et traité comme une dépression, ce qui entraîne des retards dans le traitement et des souffrances pour les patients. De plus, le traitement de référence, le lithium, n’est efficace que pour une minorité : moins d’un patient sur trois y répond. « Pour ces 30 %, le lithium est très efficace, mais pour la majorité – jusqu’à 70 % –, il n’y a que très peu d’effet, voire aucun », précise le Dr Milnerwood. Même pour les personnes qui y répondent positivement, il présente des inconvénients : une surveillance étroite des patients est nécessaire, et une utilisation prolongée peut engendrer des conséquences sur la santé, notamment des dommages aux reins.

C’est pourquoi l’étude de la Fondation Brain Canada et Bell Cause pour la cause lancée en 2022 joue un rôle clé pour les personnes atteintes de cette maladie et leur famille. Cette recherche vise à découvrir un biomarqueur – une molécule détectable dans le sang ou d’autres fluides corporels – qui accélérerait le diagnostic et le traitement, tout en explorant les causes sous-jacentes de la maladie et en fournissant de nouvelles options médicamenteuses, qu’elles soient inédites ou réutilisées.

Notre objectif est de comprendre ce qui cause le trouble bipolaire, de décoder comment le lithium fonctionne chez les patients répondeurs et de voir si nous pouvons tirer parti de ces connaissances pour mieux traiter ceux qui ne répondent pas au traitement, à supposer qu’un mécanisme semblable serait en cause .  Nous voulons aussi essayer de remplacer le lithium lui-même par une alternative plus accessible et moins contraignante. »

Dr Milnerwood

Une équipe composée de chefs de file des milieux clinique et scientifique pilote cet ambitieux projet canadien. Parmi eux, le psychiatre Martin Alda, une sommité mondiale en matière d’intervention contre le TB et le lithium. Professeur et titulaire de la chaire Killam au Département de psychiatrie de l’Université Dalhousie, le Dr Alda a recueilli des échantillons de sang auprès de patients donneurs et fourni des données cliniques. « Rien de tout cela n’aurait été possible sans son expertise et ses conseils », précise le Dr Milnerwood.

Ces échantillons ont ensuite été envoyés à Montréal, où l’équipe dirigée par le Dr Milnerwood et un éminent généticien et neurologue, le Dr Guy Rouleau, directeur du Neuro et président du Département de neurologie et neurochirurgie de l’Université McGill, a pris le relais. Le Dr Anouar Khayachi et ses collègues ont reprogrammé des globules blancs pour qu’ils agissent comme des cellules souches (les cellules principales du corps), puis les ont transformés en cellules nerveuses (neurones) afin d’observer comment ils forment des réseaux neuronaux et communiquent entre eux. Une avancée technologique qui aurait autrefois été impensable.

Jusqu’à présent, l’équipe de recherche a créé des lignées cellulaires (cultures de cellules) à partir de 15 personnes appartenant à trois catégories : les TB qui répondent au lithium, les TB qui n’y répondent pas et les témoins correspondants. À partir de là, les chercheurs comparent la fonction du réseau, les gènes et les protéines afin de mettre en évidence les différences qui en émergent.

Les résultats préliminaires de cette recherche sont fascinants :

  • Les neurones provenant de personnes atteintes d’un trouble bipolaire présentent un niveau élevé d’excitabilité par rapport aux cellules de personnes en bonne santé ;
  • Le traitement des neurones au lithium atténue l’hyperactivité dans les cellules des répondants au lithium, mais n’a aucun effet chez les non-répondants. En d’autres termes, il est possible de déterminer qui réagira au lithium en mesurant l’activité électrique dans les cellules des patients ;
  • Les changements sous-jacents dans les neurones du trouble bipolaire, et ceux modifiés par le lithium chez les intervenants ont mis en évidence des processus qui régulent le métabolisme cellulaire. En ciblant ces mécanismes avec d’autres médicaments, les chercheurs ont réussi à réduire l’hyperactivité des neurones chez les répondants au lithium TB et, fait remarquable, particulièrement chez les non-répondants. Cela signifie qu’une nouvelle voie de traitement potentielle pour le TB a été trouvée.
  • Les personnes atteintes de trouble bipolaire sont beaucoup plus susceptibles de développer des troubles métaboliques, comme la résistance à l’insuline ou le diabète de type 2. Et, selon la recherche du groupe de Halifax, les patients traités avec la metformine, un médicament contre le diabète, semblent voir des améliorations dans leurs symptômes psychiatriques. Toutefois, le lien de causalité entre les processus métaboliques (les enzymes qui contrôlent le métabolisme cellulaire) et les mécanismes du cerveau nécessitent des recherches supplémentaires.

Fait intéressant : la réponse au lithium semble également suivre une logique héréditaire. Alors, si un membre d’une famille réagit bien au médicament, il y a de fortes chances que d’autres membres de cette même famille en bénéficient également. Cependant, « différentes formes de trouble bipolaire réagissent à différents stabilisateurs de l’humeur », précise le Dr Alda.

Alors que le projet Fondation Brain Canada et Bell Cause pour la cause approche de son échéance en 2025, les chercheurs espèrent obtenir des fonds supplémentaires pour créer plus de lignées cellulaires, chacune coûtant environ 45 000 $ à développer et entretenir. Cette étape permettra de valider les découvertes actuelles et de continuer à réaliser des progrès significatifs vers la mise au point de traitements optimaux pour cette maladie qui touche un si grand nombre de Canadiens et leur famille.