L’effet du développement cérébral sur la santé mentale e fonction du sexe

Il existe de nombreuses maladies neurologiques et neuropsychiatriques qui affectent différemment les hommes et les femmes, mais nous ne comprenons pas encore exactement pourquoi.

Un facteur qui pourrait jouer un rôle important s’expliquerait par l’influence des hormones durant la puberté, qui peut modifier la façon dont les gènes sont utilisés par les cellules cérébrales, altérant ainsi leur fonction.

« Il y a certaines différences de base entre les hommes et les femmes qui suggèrent que nous ne devrions pas recevoir les mêmes interventions pharmacologiques. Nous essayons de définir les changements qui se produisent au niveau moléculaire afin de déterminer la façon de les cibler précisément. »

Corina Nagy, professeure adjointe au département de psychiatrie de l’Université McGill et Future leader canadienne de la recherche sur le cerveau.

Le programme Futurs leaders canadiens de la recherche sur le cerveau est l’un des nombreux programmes phares de la Fondation Brain Canada qui visent à renforcer les capacités dans le domaine de la recherche sur le cerveau. En finançant des chercheurs en début de carrière à ce stade critique, la Fondation Brain Canada forme un bassin de chefs de file en neurosciences et une base d’excellence et d’innovation en matière de recherche au Canada.

« Soutenir la prochaine génération de scientifiques est une priorité pour la Fondation Brain Canada, car nous croyons qu’ils ont le talent et l’ingéniosité pour faire avancer la recherche sur le cerveau au Canada, explique la Dre Viviane Poupon, neuroscientifique et présidente-directrice générale de la Fondation Brain Canada. Nous investissons directement dans les stagiaires et les chercheurs en début de carrière afin de réaliser leur potentiel et favoriser des travaux audacieux, non orthodoxes et exploratoires qui peuvent améliorer le sort de la population canadienne. »

Depuis 2019, la Dre Nagy est l’une des 88 scientifiques au Canada à avoir reçu du financement dans le cadre du programme Futurs leaders canadiens de la recherche sur le cerveau de la Fondation Brain Canada. Sa subvention a été rendue possible grâce au Fonds canadien de recherche sur le cerveau (FCRC), une entente novatrice entre le gouvernement du Canada (par l’entremise de Santé Canada), la Fondation Brain Canada et la Fondation Hewitt.

Au Centre de recherche Douglas, la Dre Nagy et son équipe utilisent un modèle murin dit « des quatre génotypes » (FCG) afin de distinguer les effets des hormones gonadiques des contributions chromosomiques sous-jacentes. Cette approche leur permet d’observer les interactions entre les chromosomes sexuels et les hormones dans diverses combinaisons, mais aussi leurs effets sexospécifiques sur le cerveau.  

« Mes recherches explorent les différences sexuelles dans le développement cérébral, et plus particulièrement dans le contexte du trouble dépressif majeur, car il est deux fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes », explique-t-elle. 

En fin de compte, la Dre Nagy utilise le modèle murin FCG pour déterminer comment les hormones sexuelles et la génétique influencent la fonction des gènes et le développement du cerveau durant la puberté.

« Il existe deux principaux facteurs qui définissent notre sexe biologique : nos gènes et les hormones produites par nos organes sexuels, poursuit-elle. Notre génome se transcrit différemment en fonction de notre sexe, et ces hormones affectent nos corps de différentes façons. »

Financement pour les chercheurs en début de carrière

Soutenu par un don important de Fondation Azrieli, le programme Futurs leaders canadiens de la recherche sur le cerveau vise à accélérer les travaux novateurs qui révolutionneront notre compréhension du fonctionnement et des dysfonctionnements du système nerveux et de leur incidence sur la santé. Depuis sa création, le programme a investi 8 millions de dollars pour faire avancer la recherche de solutions à des maladies et troubles du cerveau comme la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer, le cancer du cerveau, l’autisme, les troubles liés à la toxicomanie, les maladies mentales et plusieurs autres. À ce jour, au moins huit demandes de brevets ont été déposées pour des découvertes résultant de projets Futurs leaders, et plus de 64 millions de dollars de financement supplémentaire ont été accordés aux lauréats pour amplifier leurs recherches.

Pour la Dre Nagy, le programme Futurs leaders canadiens de la recherche sur le cerveau offre bien plus que du soutien financier. Elle reconnaît les efforts de la Fondation Brain Canada pour partager la recherche avec le public et la focalisation du programme sur les chercheurs en début de carrière, qui font face à une forte compétition pour obtenir des subventions.

« L’application des connaissances est un élément très important, car elle contribue à lancer ce type de recherche, ouvrant ainsi la voie à des perspectives de financement plus ambitieuses », explique-t-elle.

Depuis le début de sa subvention Futurs leaders à la fin 2023, la Dre Nagy a réalisé des progrès considérables. En utilisant un modèle murin normatif, elle a établi les points temporels critiques de la puberté sur lesquels se pencher. Parallèlement, son équipe analyse les hormones directement à partir des mêmes tissus cérébraux pour déterminer l’influence des niveaux d’œstrogène et de testostérone sur la transcription des gènes.

Georgia Kruck, une étudiante à la maîtrise dans le laboratoire de Nagy, travaille maintenant à analyser les données à l’échelle des cellules individuelles. « Georgia est très enthousiaste à ce sujet, constate la Dre Nagy. Elle a eu la chance de donner une présentation à Munich plus tôt cette année. Ce projet est pour elle une excellente occasion de se pencher sur une question biomédicale majeure qui a trop longtemps été négligée. »

La grande question

Alors, pourquoi la plupart des recherches se concentrent-elles sur les hommes, tandis que la dépression majeure est plus fréquente chez les femmes?

« Nous détenons déjà des preuves que les traitements que nous utilisons sont plus efficaces chez un sexe que chez l’autre », explique la Dre Nagy.

L’inclusion des facteurs sexospécifiques s’avère déterminante pour comprendre les origines biologiques des maladies mentales. Ces différences sexuelles peuvent grandement influencer la manifestation, la progression et la réponse aux traitements des maladies cérébrales.

« On croit à tort que le cycle hormonal des femmes est si complexe qu’il est impossible de l’étudier, et que nous devrions simplement appliquer tout ce que nous apprenons des hommes aux femmes, poursuit-elle. Et c’est faux. Les hommes subissent également des cycles hormonaux importants qui suivent un rythme quotidien. Il faut aussi comprendre qu’une grande partie des découvertes provenant d’études menées chez les hommes ne s’appliquent tout simplement pas aux femmes. »  

Pour la Dre Nagy, de nombreux troubles cérébraux présentent des différences sexuelles notables. Par exemple, la maladie d’Alzheimer est plus fréquente chez les femmes, tandis que la maladie de Parkinson est plus répandue chez les hommes. Même si ces dissemblances sont flagrantes dans divers troubles, elles ont longtemps été ignorées par souci de commodité.

« La communauté scientifique a finalement réalisé que ça ne pouvait pas fonctionner », observe la Dre Nagy.

La Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada, financée en partie par la Fondation Brain Canada, prend désormais des mesures pour combler les écarts entre les sexes dans ses processus, et ce, grâce au travail de Nagy.

« Le sexe ne faisait pas partie de notre questionnaire lorsque nous recrutions pour la Banque de cerveaux, dit-elle. Mais j’ai fait en sorte que ça change, et nous posons maintenant la question. J’espère que cette initiative pourra inciter de nombreuses autres banques de cerveaux à faire de même.

La Dre Nagy est optimiste que sa recherche montrera qu’il existe des mécanismes divergents dans notre façon de développer les pathologies, et de nous développer en général. Les hommes et les femmes utilisent différents types de cellules de différentes façons, et c’est ce qui est fascinant.

« J’espère que cette recherche sensibilisera les gens au fait que se développer différemment signifie simplement de se développer différemment. Nous sommes tous biologiquement uniques, et ça ne signifie pas que l’un est pire ou meilleur que l’autre. »

Corina Nagy

S’il y a une chose à retenir, c’est que nous avons tous des besoins uniques et que nous devons commencer dès maintenant à adapter nos approches pour tenir compte de ces différences.