Par Charissa Egger

De nouvelles recherches menées par Aaron Phillips, professeur associé à l’Université de Calgary, pourraient bientôt changer radicalement la vie des personnes souffrant d’une complication potentiellement mortelle souvent sous-estimée des lésions médullaires : l’instabilité de la pression artérielle. Le Pr Phillips est l’auteur principal et auteur correspondant de deux articles de recherche publiés aujourd’hui dans Nature et Nature Medicine. Il a découvert la cause sous-jacente de l’instabilité de la pression artérielle et a également mis au point le premier traitement efficace contre cette affection.

En 2019, le Pr Phillips a été l’un des premiers chercheurs à recevoir une subvention du programme Futurs leaders canadiens de la recherche sur le cerveau de la Fondation Brain Canada. Le programme permet aux chercheurs en début de carrière d’explorer des idées audacieuses et risquées ayant un potentiel de retombées élevé. Grâce à cette subvention, le Pr Phillips a étudié les réseaux neuronaux à l’origine de l’instabilité de la pression artérielle chez les personnes ayant une lésion médullaire. Il a également entrepris de mettre à l’essai le nouveau traitement qu’il a mis au point contre l’instabilité de la pression artérielle. La recherche a maintenant produit des résultats qui ont conduit à des découvertes prometteuses pour le domaine et pour les patients.

Une affection sous-estimée

L’instabilité de la pression artérielle est un symptôme qu’on évoque peu souvent lorsqu’on parle de lésion médullaire. Elle n’est pas aussi visible que la paralysie des membres, mais elle représente néanmoins une priorité absolue dans la gestion des lésions médullaires.

« Nous savons, depuis une quinzaine d’années, que pour les personnes atteintes d’une lésion médullaire, il est plus important de traiter l’instabilité de la pression artérielle que de reprendre la marche », explique le Pr Phillips. Il ajoute que l’instabilité de la pression artérielle s’accompagne de symptômes chroniques, tels que les maux de tête et l’anxiété, qui ont un impact considérable sur la qualité de vie.

Les personnes qui souffrent d’instabilité de la pression artérielle ont une hypotension chronique en raison de la paralysie des muscles entourant les vaisseaux sanguins sous le niveau de la lésion médullaire. Parallèlement, ils peuvent également avoir des épisodes de pression artérielle dangereusement élevés, un état connu sous le nom de dysréflexie autonome. Cette dernière se caractérise par une réaction inadéquate de la pression artérielle face à des stimuli normaux, tels qu’avoir la vessie pleine. Ces épisodes, s’ils ne sont pas traités, peuvent être mortels.

Actuellement, la prise en charge des personnes souffrant d’instabilité de la pression artérielle consiste à traiter séparément l’hypotension et l’hypertension. Il n’existe aucun traitement efficace contre les variations de la pression artérielle qui peuvent mettre la vie des patients en danger.

Des découvertes marquantes

Au cours de leurs derniers travaux de recherche, Aaron Phillips et ses collègues ont découvert qu’une sous-population précise de neurones de la moelle épinière fonctionne mal après une lésion médullaire, ce qui mène à la dysréflexie autonome. Forte de cette découverte, l’équipe a exploré des traitements potentiels.

L’équipe a constaté que la stimulation électrique de la zone où sont logés ces neurones (le point chaud hémodynamique) normalisait la pression artérielle en quelques minutes et éliminait les épisodes d’hypertension.

« Les pointes de pression artérielle ont disparu, c’était un effet positif très important, remarquable et tellement prometteur pour la communauté », décrit le Pr Phillips.

Le dispositif s’est avéré efficace non seulement pour traiter les pointes de pression artérielle, mais aussi pour stabiliser l’hypotension. « En une seule intervention avec un seul appareil, on traite les fluctuations de la pression artérielle dans les deux sens, vers le haut et vers le bas », explique-t-il.

L’équipe a mis au point et testé sa technologie chez l’humain; en partenariat avec Onward Medical, elle a créé et breveté un dispositif de qualité clinique. Implanté dans la moelle épinière, le dispositif administre une stimulation précise au niveau du point chaud hémodynamique qui contrôle la pression sanguine. Le dispositif fonctionne également en boucle fermée, ce qui signifie qu’il surveille activement la pression artérielle et produit la stimulation nécessaire pour la stabiliser en temps réel, un peu comme un thermostat régule la température. Dans leur étude la plus récente, les chercheurs ont mis à l’essai le dispositif auprès de 14 personnes dans plusieurs pays. Non seulement le traitement a régularisé la pression artérielle, mais il a également amélioré de façon spectaculaire la vie quotidienne des personnes. De plus, son innocuité et son efficacité ont été démontrées pour une utilisation à long terme.

Un avenir prometteur pour le traitement

La prochaine étape, selon le Pr Phillips, est un essai clinique de phase III : « c’est vraiment la dernière étape avant que le dispositif puisse être mis à la disposition de la communauté et accessible à tous. » Le Pr Phillips collabore actuellement avec la Food and Drug Administration des États-Unis pour faire progresser le dossier; il est optimiste et estime que le traitement pourrait être accessible aux patients dans les années à venir.

« Selon nous, il y a un énorme besoin dans la communauté des personnes souffrant de lésions médullaires. Nous savons que plus de la moitié d’entre elles présentent une instabilité de la pression artérielle. Nous pensons qu’il s’agit d’un traitement efficace, et c’est le premier proposé pour les personnes souffrant de lésions médullaires. »

Les résultats obtenus par le Pr Phillips représentent un jalon important pour le secteur canadien des neurosciences; ils montrent que la recherche axée sur les découvertes peut déboucher sur des traitements qui donnent de nouveaux espoirs aux patients.

 Aaron Phillips est doyen associé (Innovation et commercialisation) et professeur agrégé aux départements de neurosciences cliniques, de physiologie et pharmacologie, et de sciences cardiaques à la Cumming School of Medicine (CSM). Il est membre du Hotchkiss Brain Institute (HBI) et du Libin Cardiovascular Institute, au sein de la CSM, ainsi que directeur du réseau RESTORE. En 2019, il a reçu une subvention de 100 000 $ du programme Futurs leadersde la recherche sur le cerveau au Canada pour soutenir le projet, intitulé Neuroprosthetic-mediated rehabilitation of autonomic function after spinal cord injury (La réhabilitation de la fonction autonome assistée par une neuroprothèse après une lésion médullaire). La subvention a été rendue possible grâce au soutien financier de Santé Canada via le Fonds canadien de recherche sur le cerveau (un partenariat novateur entre le gouvernement du Canada [par lintermédiaire de Santé Canada] et de la Fondation Brain Canada) ainsi quà un don important de la Fondation Azrieli au programme Futurs Leaders.