Par Ian Popple
Visage affaissé — Incapacité à lever les deux bras — Troubles de prononciation — Extrême urgence, composez le 911! L’acronyme VITE (Visage, Incapacité, Trouble de la parole, Extrême urgence) rappelle à la fois les signes précoces d’un accident vasculaire cérébral (AVC) et l’urgence d’agir immédiatement. L’AVC ischémique aigu, la forme la plus courante d’AVC, survient lorsqu’un vaisseau sanguin est bloqué dans le cerveau, coupant ainsi l’apport d’oxygène à une partie du tissu cérébral. Plus le cerveau est longtemps privé d’oxygène, plus le risque de dommages permanents augmente, d’où l’importance d’intervenir rapidement.
« Il est essentiel que toute personne qui subit un AVC compose immédiatement le 911 ou se rende sans tarder dans un hôpital », explique le Dr Jim Christenson, chercheur en soins d’urgence à l’Hôpital St. Paul’s de Vancouver et professeur à la Faculté de médecine de l’université de Colombie-Britannique. « Nous disposons de traitements efficaces, comme les agents thrombolytiques ou l’extraction mécanique du caillot, mais ceux-ci doivent être administrés très rapidement et uniquement dans un hôpital. »
Malheureusement, de nombreux patients victimes d’un AVC ischémique aigu ne peuvent recevoir ces traitements vitaux à temps. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), environ 15 millions de personnes subissent un AVC chaque année dans le monde. Parmi elles, cinq millions en meurent, et cinq autres doivent composer avec un handicap permanent.
Il existe toutefois une lueur d’espoir. Un groupe de médicaments appelés neuroprotecteurs suscite l’intérêt depuis de nombreuses années comme solution potentielle pour combler l’intervalle critique entre l’apparition des symptômes et l’administration des traitements définitifs. Comme leur nom l’indique, les neuroprotecteurs visent à protéger le tissu cérébral lorsqu’il est privé d’oxygène. Leur rôle est essentiellement de permettre au cerveau de « retenir sa respiration plus longtemps », jusqu’à ce que la circulation sanguine puisse être rétablie.
La recherche de neuroprotecteurs efficaces remonte à plusieurs décennies. Pourtant, les résultats de plus de 200 essais cliniques chez l’humain n’ont pas réussi à reproduire les promesses observées lors des premières études chez l’animal. Du moins, jusqu’à maintenant.
Dans le cadre d’une étude novatrice cofinancée par la Fondation Brain Canada et baptisée FRONTIER (Field Randomization of NA-1 Treatment In Early Responders), des chercheurs canadiens ont observé des résultats prometteurs chez les patients ayant reçu un médicament neuroprotecteur appelé nérinétide. Les conclusions de cette étude ont été publiées dans la revue The Lancet.
L’étude FRONTIER s’appuie sur des données préliminaires qui suggèrent que le bénéfice maximal pour les patients qui subissent un AVC est atteint lorsque le médicament est administré dès l’apparition des premiers symptômes.
« Pour valider cette hypothèse, nous savions qu’il fallait confier aux ambulanciers paramédicaux la tâche d’administrer le médicament rapidement après l’appel au 911 », explique le Dr Christenson, chercheur principal de l’étude FRONTIER.
L’idée de solliciter les services médicaux d’urgence (SMU) pour administrer un médicament expérimental dans le cadre d’un essai clinique représentait une première au Canada, et les défis logistiques étaient nombreux. Par exemple, chaque ambulance participante devait être équipée d’un mini-réfrigérateur pour conserver le médicament à la bonne température jusqu’à son administration.
« Il fallait également assurer un suivi précis de chaque dose dans toutes les ambulances, ce qui rendait la logistique beaucoup plus complexe que dans une étude menée en milieu hospitalier, comme une salle d’urgence ou une unité spécialisée en AVC », se souvient le Dr Christenson.
« Par ailleurs, comme les techniciens ambulanciers paramédicaux n’ont généralement pas l’habitude d’administrer des médicaments par voie intraveineuse — encore moins à l’aide d’une pompe —, une formation initiale, des exercices et un soutien continu ont été nécessaires », ajoute-t-il. « La plupart des ambulanciers n’ont eu à administrer le médicament qu’une seule fois pendant l’étude, sans avoir l’occasion de développer de familiarité avec le protocole. Ils ont accompli un travail remarquable ; ce sont les véritables héros de FRONTIER. »
Les essais cliniques d’une telle envergure sont rarement possibles grâce aux seules subventions gouvernementales.
« Le soutien de la Fondation Brain Canada a été absolument déterminant », affirme le Dr Michael Tymianski, chercheur principal à l’Institut du cerveau Krembil du Réseau universitaire de santé et scientifique à l’origine de la découverte du nérinétide. « Mais son apport ne s’est pas limité qu’au financement. Son processus rigoureux d’évaluation par les pairs nous a permis de valider la crédibilité de notre projet, ce qui s’est révélé primordial pour obtenir la collaboration des services médicaux d’urgence. Je suis convaincu que cet essai n’aurait jamais pu voir le jour sans la Fondation. »
Bien que l’étude FRONTIER ait permis d’administrer le nérinétide très rapidement, ce qui augmentait ses chances d’efficacité, cette intervention précoce a aussi fait en sorte que le médicament a été donné à des patients qui n’étaient pas susceptibles d’en tirer un réel bénéfice.
« C’est tout le paradoxe du développement des neuroprotecteurs », explique le Dr Tymianski. « On intervient rapidement, mais cette urgence rend plus difficile la sélection de bons candidats. »
Ainsi, des patients atteints de troubles non ciblés par le traitement ont également reçu du nérinétide, notamment ceux victimes d’un AVC hémorragique, d’un accident ischémique transitoire (AIT) ou de certaines affections pouvant imiter les symptômes d’un AVC, comme une crise d’épilepsie. Lorsque tous ces patients étaient inclus dans l’analyse initiale, l’effet du nérinétide était atténué. En revanche, en se concentrant uniquement sur les patients ayant subi un AVC ischémique aigu, les résultats observés étaient frappants.
« L’étude FRONTIER a démontré que la neuroprotection chez l’humain est non seulement possible, mais aussi bénéfique », conclut le Dr Tymianski. « Elle a également permis de mieux cibler les types de patients victimes d’un AVC qui peuvent réellement bénéficier du médicament. »
Nous sommes extrêmement fiers d’avoir soutenu un projet aussi ambitieux. L’AVC demeure l’une des principales causes de décès et d’incapacité dans le monde — un adulte sur quatre en sera victime au cours de sa vie. Ces résultats prometteurs suscitent un espoir réel pour des millions de personnes à travers le monde.
Dre Viviane Poupon, présidente-directrice générale de la Fondation Brain Canada
Un nouvel essai clinique est déjà en cours, cette fois avec une nouvelle version du nérinétide, et en tirant parti des apprentissages de FRONTIER. L’objectif est de confirmer les résultats de l’étude initiale afin d’obtenir l’approbation réglementaire nécessaire à l’intégration de ces agents dans la pratique clinique et, ultimement, de changer le pronostic de nombreux patients victimes d’un AVC.
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Le Dr Jim Christenson, chercheur en soins d’urgence à l’Hôpital St. Paul’s et professeur à la Faculté de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique, ainsi que les membres de son équipe, ont reçu en 2014 une subvention d’équipe de la Fondation Brain Canada de 8,07 millions de dollars pour soutenir l’étude FRONTIER (Field Randomization of NA-1 Treatment In Early Responders). Cette subvention a été rendue possible grâce au soutien financier de Santé Canada (par l’entremise du Fonds canadien de recherche sur le cerveau), un partenariat novateur entre le gouvernement du Canada (par l’entremise de Santé Canada) et la Fondation Brain Canada, l’Hôpital St. Michael’s, le Réseau canadien contre les AVC, Genome BC, le Centre Djavad Mowafaghian pour la santé cérébrale et l’Université de la Colombie-Britannique.
Liens :
https://www.uhn.ca/corporate/news/pages/protecting-the-brain-against-stroke.aspx
https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(25)00193-X/abstract