On fait continuellement travailler notre cerveau en créant et en rappelant des souvenirs, sans trop savoir comment il accomplit ces fonctions essentielles.

Par Alison Palmer

« Rien ne sert de vouloir soigner un trouble de la mémoire sans d’abord comprendre comment les souvenirs se forment et s’impriment dans le cerveau », déclare Sheena Josselyn, une chercheuse financée par la Fondation Brain Canada qui œuvre à l’Hospital for Sick Children (SickKids) et à l’Université de Toronto. 

« Il reste encore du chemin à parcourir, mais nous avons fait de grandes percées en la matière », dit-elle.  En effet, deux percées ont surgi de sa plateforme financée par la Fondation Brain Canada. Une première visant le développement de la mémoire et une seconde portant sur le rappel des souvenirs.

L’origine moléculaire des changements mnémoniques dans la petite enfance

Entre quatre et six ans, la mémoire de l’enfant passe d’une mémoire générale plutôt floue à une mémoire épisodique liée à des événements. Autrement dit, les souvenirs deviennent plus précis. Sheena Josselyn, ses coauteurs Paul Frankland, Adam Ramsaranm, un doctorant boursier de la Fondation Brain Canada, et leur équipe de recherche ont effectué l’une des premières études examinant cette évolution de la mémoire chez des souris juvéniles. Ils ont mis le doigt sur une cause moléculaire qui pourrait être à l’origine de ce changement et ont publié leurs conclusions dans la prestigieuse revue Science.

Il s’agirait du réseau périneuronal, une matrice dense qui entoure des cellules spécialisées dans l’hippocampe appelées interneurones exprimant la parvalbumine. Ces interneurones veillent à circonscrire la taille de la trace mnésique dans le cerveau et à préciser la mémoire. Selon les observations de l’équipe, au fur et à mesure que le réseau périneuronal se forme autour des interneurones, ceux-ci gagnent en maturité, de sorte que les traces mnésiques s’espacent et les souvenirs diffus deviennent plus nets.

Partant de cette découverte, les chercheurs ont accéléré la croissance du réseau périneuronal de souris juvéniles jusqu’à créer des souvenirs spécifiques plutôt que généraux. Ces résultats ont aiguillé d’autres recherches sur le développement de l’enfant à l’Université de Toronto.

« Outre le développement de la mémoire, d’autres mécanismes similaires de maturation participent à différents systèmes sensoriels du cerveau », dit Paul Frankland, chercheur principal au SickKids et membre de l’équipe de recherche bénéficiant d’une subvention de plateforme de la Fondation Brain Canada. « Le même mécanisme cérébral peut être utilisé par plusieurs régions du cerveau à des fins différentes, ce qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche et de collaboration. »

De nouveaux outils pour tester une vieille hypothèse

Dernièrement, l’équipe de Sheena Josselyn a réussi une première en démontrant que le rappel de souvenirs se fait au niveau des neurones, corroborant ainsi une hypothèse vieille de plusieurs décennies. La preuve a été publiée dans la réputée revue Neuron en juin 2023.

C’est Endel Tulving qui, dans les années 60 et 70, a mis de l’avant le principe de la spécificité de l’encodage pour expliquer la récupération de l’information. C’est-à-dire, il est plus facile de se remémorer quelque chose dans un contexte similaire à celui où on l’a appris.

Ce postulat a maintes fois été démontré dans le cadre d’études comportementales. L’une des préférées de Sheena Josselyn a eu lieu en 1975 avec des plongeurs d’expérience. Les chercheurs les ont répartis en deux groupes : un premier qui devait mémoriser une liste de mots sur terre, et un autre qui mémorisait une liste de mots sous l’eau. Les plongeurs se souvenaient mieux des listes de mots lorsque l’environnement d’encodage et de récupération correspondaient. Donc, on aurait cru qu’il leur serait plus facile de se souvenir sur terre d’une liste de mots apprise sous l’eau, mais ce n’était pas le cas.

L’équipe de Sheena Josselyn a entrepris d’étoffer ces expériences comportementales sur le principe de la spécificité de l’encodage à un niveau encore plus pointu : le neurone.

On pense que les souvenirs des expériences sont stockés dans des ensembles de neurones qui sont co-actifs au moment de l’expérience. Appelés traces mnémoniques, ou engramme, ces ensembles s’activent lorsqu’on vit une expérience ou lorsqu’on se la remémore. À l’aide d’une batterie d’outils sophistiqués financés à l’aide d’une subvention de plateforme de la Fondation Brain Canada, l’équipe de Sheena Josselyn a examiné la manière dont les engrammes se réactivent dans le cerveau de souris dans différents contextes. À cette fin, les chercheurs ont bâti un microscope sur mesure capable d’observer l’activité cérébrale des souris.

« Pour vérifier des hypothèses que l’on a déjà prouvées avec des expériences comportementales, nous utilisons des outils modernes pour observer au niveau neuronal ce qui se passe dans des vers, des fourmis, des souris, des humains, etc. C’était impossible auparavant. Jamais je n’aurais cru voir de tels progrès scientifiques au cours de ma carrière scientifique, affirme Sheena Josselyn. C’est l’âge d’or de la neuroscience. »

En scrutant l’activité cérébrale de souris, les chercheurs ont démontré que le moment optimal de réactivation neuronale – et le rappel de l’information – se déroule bel et bien lorsque le contexte d’apprentissage et de rappel correspondent.

Prochaine étape

La prochaine étape d’un premier projet évaluant l’évolution de la mémoire d’un enfant consiste à utiliser le microscope adapté pour approfondir leurs découvertes liées aux mécanismes moléculaires.

« Ces outils de pointe voient le jour grâce à la subvention de plateforme de la Fondation Brain Canada », affirme Sheena Josselyn.

Grâce à cette plateforme, son équipe met également au point des pipelines d’analyses que d’autres chercheurs pourront utiliser afin d’explorer ces questions, sans devoir posséder des ressources informatiques internes, ni acheter et adapter un microscope à leurs besoins.

Les travaux de Sheena Josselyn approfondissent notre compréhension du mécanisme d’encodage et de stockage de l’information, ainsi que d’une défaillance de ce mécanisme. Notre capacité de remédier à des affections neurologiques, comme le trouble du spectre de l’autisme marqué par un déficit d’encodage et d’utilisation de l’information, dépend de ce savoir essentiel.

« L’infrastructure de la plateforme permet de mettre à l’épreuve ces questions fondamentales au sujet du cerveau et de trouver des solutions tangibles pour les gens qui en ont besoin, ce qui est le but », déclare-t-elle.

Sheena Josselyn est la chercheuse principale des installations d’imagerie in vivo SLAP-CAN bénéficiant d’une subvention de plateforme de la Fondation Brain Canada et elle est membre du comité de recherche de la Fondation Brain Canada.  Aussi, elle est chercheuse principale du programme de neurosciences et de santé mentale du Hospital for Sick Children à Toronto, et professeure au Département de psychologique et de physiologie à l’Université de Toronto.

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